DÉLIT D’OPINION

Le 28 mai 2024, sur France inter, Sonia Devillers (SD) reçoit Marion Maréchal (MM) et, revenant sur la réaction de celle-ci devant la photo d’un couple d’hommes entourant leur enfant adopté – « Où est la maman ? » – la journaliste lui demande : « Quelle est la différence entre votre conception de la famille et celle du Maréchal Pétain ? »

Ce n’est pas ici la réponse de Marion Maréchal qui est intéressante (« Quand j’entends une question comme celle-là, j’ai envie de privatiser l’audio-visuel français » et même « Hitler aimait la confiture de fraise : si vous l’aimez vous-même, n’êtes-vous pas un peu hitlérienne vous même ? ») Le plus intéressant est à coup sûr la question de la journaliste.

Quel en est l’informulé ?

I. LA HONTE.

Le pétainisme, c’est la collaboration, c’est-à-dire la compromission de la France avec l’occupant allemand, en l’occurrence nazi, ou, pour adopter le dramatisme qui prévaut parfois, la prostitution de la République à la bête immonde. Le pétainisme est donc le nom de la honte qui frappe la France. Dès lors, il apparaît que, posant cette question à MM, SD entend faire honte à son invitée. Un rapprochement s’impose ici. Lors du débat entre Jordan Bardella (JB) et Valérie Hayer (VH), le 2 mai 2024, après que la seconde, au début de l’échange, ait lancé au premier qui lui avait coupé la parole : « Est-ce que vous pourriez laisser parler une femme ? », l’accusant ainsi de sexisme, à la fin de l’échange, quand tous les thèmes ont été épuisés et que chacun des deux interlocuteurs a carte blanche pour clore la joute, VH pose ou ose : « Je me contenterai d’une simple question : Monsieur Bardella, vous n’avez pas honte ? » Ici, les choses sont claires, le mot étant prononcé : VH a l’intention de clore le débat en faisant honte à JB.

On imagine fort bien l’échange entre la journaliste et ses confrères :

— Vous avez vu un peu comment je te l’aie clouée, la Maréchal ?

— Bien joué, Sonia, tu ne l’as pas loupée, cette morue !

Et en chœur : — Non mais comment peut-on être non seulement de droite mais d’extrême-droite ? Il faut vraiment…

Par ailleurs, il est impossible d’imaginer que la même journaliste ait seulement l’idée de demander à Jean-Luc Mélanchon quelle différence il fait entre ses purges et celles de Staline. Et l’idée lui en viendrait-elle, on voit tout de suite comment elle se ferait recevoir par l’intéressé, sans compter le tollé soulevé dans tout le milieu médiatique.

La question alors se pose : qu’est-ce qui autorise SD ou VH à faire honte à la personne en face, ou encore de quelle autorité chacune peut-elle se réclamer pour s’autoriser à faire honte à quiconque ? La réponse est assez évidente : SD et VH s’appuient sur le magister moral de la gauche. Ce magister permet tous les coups contre la droite mais prohibe la moindre critique à l’égard de la gauche. Car il est entendu que la gauche est le camp du bien et de la vertu et que tous ceux qui n’adhèrent pas à tout ce qui est estampillé « gauche » appartient au camp du mal et de l’infamie. Ainsi en est-il décidé en haut lieu, et en un lieu tellement haut qu’il confine au divin : seul un dieu, c’est-à-dire un Dominant, peut ainsi décréter, du haut de son Système, qui est dans le bien (ceux qui obéissent à ses Injonctions) et qui est dans le mal (ceux qui désobéissent à ces Injonctions) – étant bien entendu qu’il est interdit (autre Injonction) d’observer que ces Injonctions relèvent de l’arbitraire le plus brut, donc la violence la plus crue. Dès lors, s’établit cette structure inhérente au Religieux, à savoir une Hiérarchie : tous les « bons » en haut, dans la gloire et la félicité, et tous les « laids » en bas, c’est-à-dire rejetés dans l’ignominie des trente-sixièmes dessous du Système, devenant des parias infréquentables (en Inde on parle d’ « intouchables »), ce qui justifie l’inqualifiable cordon sanitaire. De quoi découle que tous ceux qui ne sont pas de gauche se rendent coupables d’un innommable et permanent délit d’opinion.

Est-ce tolérable ? Ou bien, autre formulation de la même question, est-ce une attitude qui relève du Politique ?

La démocratie, à savoir le Politique, autorise toutes les opinions et invite à leur expression dans le cadre d’un débat pluraliste, contradictoire et respectueux. C’est là ce qui caractérise la République, au sein de laquelle, toute Hiérarchie invalidée, les citoyens sont égaux et jouissent exactement des mêmes droits. En revanche, un régime au sein duquel certains sont légitimes par nature et ont droit à toutes les révérences voire à toutes les indulgences et d’autres illégitimes et décrétés en tout coupables et honteux, ce régime n’est plus celui de la République mais celui d’un Système : il n’est plus démocratique mais tyrannique sinon même dictatorial – autrement dit fasciste, le sommet du Religieux. Malheureusement, c’est ce régime qu’impose en France aujourd’hui une partie notable du monde de la presse, celle qui constitue ce qu’il faut appeler le Pouvoir médiatique.

Maintenant, que peut-on répondre à la question de SD sur la famille et Pétain ?

II. RELIGIEUX ET RELIGIEUX.

Il faut se souvenir, d’abord en la replaçant dans son contexte de la défaite désastreuse de la France en mai 1940, de la phrase de Pétain : « L’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. » Que dit ici le Maréchal ? Très clairement : « Si la France s’est effondrée, c’est votre faute : vous vous êtes amusés chacun dans votre coin au lieu de vous consacrer – de vous sacrifier – à votre patrie. » Autrement dit, il parle exactement comme un prophète juif du temps de l’Exil (« Si Israël est vaincu, si Yahvé l’a abandonné, c’est que vous êtes coupables d’avoir oublié sa loi ! » ou comme un prophète chrétien de l’an mil (« Repentez-vous, faute de quoi Dieu vous détruira comme Sodome et Gomorrhe ! » Bref, le propos, voulant ignorer les erreurs et les errements de la IVe République et visant à stigmatiser non seulement la licence mais même la liberté individuelle, ce propos relève exclusivement du Religieux. Il ne s’agit pas de faire le bilan objectif de la situation mais bien d’accabler toute la France de culpabilité religieuse : « Vous n’avez pas obéi au dieu Patrie, ce dieu vous punit, vous ne l’avez pas volé. »

C’est justement ce discours ultra religieux qui impose le (pseudo-)remède : « Travail, famille, patrie ».

Il faut bien voir que cette trinité en remplace ou même en supplante une autre : « Liberté, égalité, fraternité » : le slogan du Religieux évince et même éclipse la formule du Politique. Autrement dit, la République, au sein de laquelle chacun est libre, où il n’a que des égaux avec qui il entretient un lien charnel de solidarité, est anéantie pour laisser place à un Système au sein duquel chacun ne doit plus que travailler à obéir aux Injonctions du Dominant Patrie. Et, dans le slogan, le mot ‘famille’ apparaît comme un Mythe, à savoir comme le cache-violence de service. En effet, la famille représente le lieu chaud et rassurant, l’Horizontale d’origine et de repli ; mais, rapprochée de la notion de ‘travail’, laquelle, dans la perspective du Système, impose la figure du chef qui donne ses ordres ou signifie ses Injonctions, la famille doit être vue aussi comme la cellule dans laquelle prévaut le Pouvoir absolu du Dominant qu’est le père : le pater familias retrouve là toutes ses couleurs les plus dures. Si bien que la patrie, dans cette même perspective, s’impose comme le Système sur lequel règne le chef de l’État, auquel doivent s’identifier tous les pères de famille. À cet égard, il faut discerner que la figure du Maréchal, celle d’un grand-père chenu et débonnaire, joue aussi comme un Mythe : sous cette figure familiale et rassurante, presque attendrissante, se cache un dictateur, un Dominant qu’il faut identifier au dieu Patrie. D’où il ressort que si le slogan « Travail, famille, patrie » émane directement du Désir régressif suscité par la défaite, il reflète également le Désir agressif d’appesantir sur tous un nouveau joug injonctif, déguisé par le Mythe « Révolution nationale », et qui loin d’être seulement coercitif est également furieusement punitif. C’est au Dominant de ce Système qui n’est la « patrie » que dans le sens le plus patriarcal du terme, que chacun est sommé de se sacrifier, c’est-à-dire en qui chacun, abdiquant l’Individu qu’il est, doit résorber son Être – ainsi s’explique cet « esprit de sacrifice » regretté par le Maréchal.

Mais de quel sacrifice s’agit-il ?

« Travail, famille, patrie » peut être une formule du Politique à trois conditions : d’abord le travail doit se concevoir comme la tâche que chacun d’une part se doit à soi-même d’accomplir pour être et d’autre part qu’il doit à la République pour qu’elle vive ; ensuite la famille doit être vue comme le premier degré de la Transcendance vraie ; enfin, la patrie doit se voir comme le deuxième degré de cette transcendance, le dernier degré étant l’humanité, c’est-à-dire, aux trois niveaux, cette dimension supérieure à laquelle, selon la logique même du Politique (« Nous ! »), l’Individu doit se donner de toute sa Volonté afin de neutraliser l’individualisme qui consiste, dans la pure logique du Religieux, à ne rien donner qu’à soi-même selon son seul Désir (« Moi ! Moi ! Moi ! ») Dans la République, le citoyen se donne ou se sacrifie à ce qui le dépasse ; dans le Système, le Dominé est sacrifié à ce qui l’écrase. Dans la République un sacrifice volontaire qui est un don ; dans le Système un sacrifice extorqué qui est un crime.

Maintenant, sur ce plan de la famille, est-ce que Marion Maréchal répond au Maréchal ?

Peut-être MM adhère-t-elle totalement à l’idéologie pétainiste, mais à cet instant et sur le point précis, au vu de son propos – « Où est la maman ? » – il ne le semble pas.

En effet, que veut-elle dire ? À quoi se réfère-t-elle ?

Il est évident qu’elle répond ici au wokisme qui prétend « déconstruire » le sexe au profit du « genre », qui prétend imposer qu’une femme peut avoir un pénis et qu’un homme peut être enceint (l’individu qui ne l’admet pas se voyant qualifié de transphobe fasciste…) Autrement dit, MM répond à cette idéologie qui, comme toutes, se caractérise par un déni du réel, à savoir de la Loi. MM semble donc pour sa part en revenir à la Loi, en la circonstance à un constat dont on se demande ce qui pourra jamais le démentir : « Un enfant ne peut venir que par la conjonction et la conjugaison d’un homme et d’une femme. » Loin de la conception à la fois régressive et expiatoire de la famille pétainiste, MM prône une famille qu’on pourrait dire tout simplement biologique.

Cependant, là où sa position peut être discutable, c’est qu’elle semble bien faire de cette famille biologique une nouvelle Injonction, c’est-à-dire qu’elle brandisse, face au Religieux « de gauche », un Religieux « de droite ».

S’il est vrai qu’il faut bien un individu mâle et un individu femelle pour faire un enfant, rien n’impose que cet enfant doive impérativement être élevé par un homme et une femme, ou, selon la terminologie à la fois mièvre et péremptoire d’aujourd’hui, par « un papa et une maman ». Rien n’indique que ce soit là un gage d’équilibre : combien d’enfants ayant grandi ou grandissant entre père et mère ont été ou sont fort mal élevés au point de sombrer soit dans la névrose soit dans la délinquance ? Dès lors, plutôt qu’un couple hétérosexuel toxique, ne vaut-il pas mieux un couple homosexuel aimant ? Il est évident que tout tient à la nature du regard posé sur l’enfant et à l’éducation qui lui est donnée. C’est une chose si celle-ci est attentive à réprimer le Désir et à forger la Volonté afin de former un individu souverain et un citoyen responsable ; c’en est une autre si elle ouvre une carrière béante au Désir et néglige la Volonté au point d’engendrer un individu tyrannique et un citoyen irresponsable.

MM évidemment, puisqu’elle n’y est pas invitée, ne se prononce pas sur le problème de l’éducation : c’est peut-être sur ce seul point que SD, si elle était animée par le seul esprit du Politique, aurait dû faire porter sa question. Mais, n’étant possédée que par le seul esprit du Religieux, elle s’en est tenue à stigmatiser le délit d’opinion.

De quel côté se trouve la honte ?

1 thought on “DÉLIT D’OPINION

  1.  » La question alors se pose : qu’est-ce qui autorise SD ou VH à faire honte à la personne en face, ou encore de quelle autorité chacune peut-elle se réclamer pour s’autoriser à faire honte à quiconque ? La réponse est assez évidente : SD et VH s’appuient sur le magister moral de la gauche. Ce magister permet tous les coups contre la droite mais prohibe la moindre critique à l’égard de la gauche. Car il est entendu que la gauche est le camp du bien et de la vertu et que tous ceux qui n’adhèrent pas à tout ce qui est estampillé « gauche » appartient au camp du mal et de l’infamie  »

    Voilà une affirmation bien gratuite… D’où sort ce « magister moral de la gauche » ? Et de quel « haut lieu » parles-tu ensuite ?

    Et c’est à partir de ces affirmations (non démontrées) que tu en arrives à une question de conclusion ne découlant pas d’une analyse, mais d’une simple opinion, éminemment discutable, comme toute opinion.

    Bête question pour conclure : mais que t’a donc fait la « gauche » pour que tu lui en veuilles tant ?

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