Troisième leçon – Ontologie 2
Reprenons au début : l’enfant, le bébé, le poupon, le papoose — tu vois, ça se prend dans les bras.
Celui-là, au tout début, dans les bras maternels, qui lui sont l’Horizontale, connaît un état béat qui est la Totalité bienheureuse. C’est le degré zéro de l’Etre, mais vivant, et comble. En effet, au nouveau-né, il ne manque rien : nourriture, sécurité, chaleur, communauté. Il a à manger autant qu’il veut au sein ou au biberon — suffit de vagir, de piailler, de brailler ; il est enfoui dans la chaleur enveloppante du corps maternel — suffit d’y dormir, d’y roupiller, d’y pioncer ; il n’est jamais seul — suffit de le sentir, de l’éprouver, d’en profiter. Pas de quoi le plaindre, le moutard !
Le Symbole qui t’est le plus familier pour rendre compte de l’état de la Totalité bienheureuse est celui du Jardin d’Eden : Adam n’a qu’à lever le bras pour cueillir le fruit qui nourrit ; il est nu dans la chaleur qui alanguit ; il a, tout contre lui, la femme dont il jouit. Que n’y est-il resté ? Eh bien justement non !…
Voir l’analyse du Mythe Adam et Eve dans le troisième tome de la Trilogie du Héros : LE HEROS ET LE DOMINANT
Aspiration ontologique et Mentor
La Totalité bienheureuse ne l’est pas tellement qu’un manque, tôt ou tard, ne s’y fasse sentir. L’Adam, l’individu, a envie de sortir. Quelque confortable que soit le Même, il n’y est jamais si bien que l’appel de l’Autre ne s’y fasse entendre : c’est l’aspiration ontologique qui le travaille — selon l’exigence même de la Loi. Cette aspiration est le besoin fondamental de l’Etre, lequel est au seul prix de l’Autre.
Autrement dit, l’humain, aussi intensément qu’il jouisse de la Totalité bienheureuse, aspire à s’engager dans son Processus.
Mais l’humain ne peut s’aventurer dans son Processus tout seul. Livré à la solitude animale, si même il parvient à vivre, il n’accède pas à l’Être : voir les enfants sauvages, qui demeurent des idiots. L’humain a besoin de l’humain. L’Être est une construction solidaire. Le jeune enfant a besoin d’un protecteur, d’un appui, d’un guide : celui-là est le Mentor.
Tout apport affectif mis à part, le Mentor a pour mission de permettre à l’élève d’entrer et de commencer à avancer dans son Processus. Pour ce faire, il propose à l’élève des règles élaborées selon le principe d’Autorité, à savoir des règles conformes à la Loi et, en tant que telles, qui n’ont d’autre visée que de favoriser l’Être de l’élève, à l’exclusion de toute autre préoccupation.
Le Processus, pour quiconque, est une entreprise difficile, qui demande des efforts, souvent conséquents, nombreux, assidus, et sans fin. Pour que la tâche, incontournable qu’elle est, ne soit pas rebutante, ne soit pas ou n’apparaisse pas impossible, le Mentor s’applique à y structurer l’effort de l’élève : il lui enseigne la Loi et les meilleures façons de la connaître, de l’accepter, de s’y adapter, de la mettre à profit enfin, pour développer ses facultés, exploiter ses potentiels, cultiver ses talents — exprimer et réaliser son Etre. Dans ce but, il travaille à ce que l’élève affirme et affermisse en lui ce moteur essentiel du Processus qu’est la Volonté. Le Processus est avant tout cheminement : la Volonté est celle de faire encore et sans cesse un pas de plus, un pas plus loin, un pas au-delà, à chaque minute, chaque jour, toujours. Pas d’Être sans Processus ; pas de Processus sans Volonté.
C’est d’ailleurs pourquoi, celui qui chemine sur la route de son Processus, qui en prend le risque et en fournit l’effort, l’AO l’appelle le Héros.
Et comme, en tout, nul n’est tenu de réussir mais que chacun se doit d’essayer, le fait d’entrer dans son Processus et d’y accomplir autant de pas qu’on peut, chaque jour, n’est rien d’autre que la Tentative.
Par ailleurs, le Mentor œuvre à ce que l’élève, de plus en plus, de mieux en mieux, apprenne à se passer de lui, devienne autonome, et accède à cette dimension essentielle du Processus qu’est la Souveraineté. L’Être, par définition, est l’état de l’Adulte, et celui-là est totalement indépendant, se suffisant à soi-même, n’attendant ni ne redoutant rien de quiconque, subvenant à ses propres besoins, n’obéissant à personne non plus que ne se soumettant quiconque. L’Adulte souverain, s’il peut se donner à Autrui, ni ne lui est en rien aliéné, ni ne l’aliène de quelque façon. Il chemine, il va son Processus, se livre à la Tentative, y écoutant sa seule Volonté.
L’Adulte assume la solitude ontologique.
Le Mentor est lui-même l’Adulte souverain : il s’emploie à en former d’autres.
Différence et respect
Une autre dimension s’impose au Mentor : le respect.
Favoriser l’Être de chacun, d’Autrui, c’est connaître que chacun incarne une modalité unique de l’Autre, et c’est la reconnaître. Il s’impose d’être attentif à ce que cette modalité soit acceptée pour ce qu’elle est, et légitimée, et encouragée — et aimée.
Favoriser l’Être, c’est, au sens ontologique du terme, l’amour. L’amour est forcément celui de la Différence. L’humain relève de l’Être en ce qu’aucun individu n’est rigoureusement semblable à un autre ; l’Être trouve également un synonyme dans l’Individu. Face à un individu tout individu est autre, lui est Autrui, à savoir une modalité, la modalité, de l’Autre : tout individu est irréductible à tout autre. L’Individu est l’incarnation unique et irremplaçable d’une Différence. Chaque Individu est une chance unique que se donne l’Être, chance qu’il ne s’est jamais donnée, qu’il ne se redonnera plus. C’est pourquoi chacun doit pouvoir doit être respecté, c’est-à-dire mis et maintenu en état d’affirmer et d’épanouir son Être : cet Être, cet Individu, n’avait jamais paru, il ne réapparaîtra plus. L’humain est, avant tout, l’abolissement du Même ; l’humain est, par excellence, l’empire de l’Autre. Chacun est sa propre Différence.
C’est pourquoi il incombe à tout humain d’être le Mentor de tout autre, à savoir de se sentir responsable de lui, de l’aimer. Qu’est-ce à dire ? Au minimum, ne rien faire, jamais, contre lui, n’attenter jamais à son Être ; au maximum lui fournir toutes les possibilités de structurer au mieux son Être, de muscler sa Volonté, afin qu’il s’engage en confiance dans son Processus, assume sa Tentative, qu’il y persévère en toute vigueur, qu’il conquière au jour le jour son Être ou sa Différence, et qu’il parvienne à rayonner dans sa plénitude.
Le souhait de qui aime, ou de l’Adulte, à chacun ? « Bonne Différence !»
L’amour, au sens ontologique — il faut le comprendre ici — ça ne fait pas dans le sentimental ou l’attendri, dans le béat ou l’extatique, dans le sirupeux ou le nunuche ; ça ne dégouline pas, comme en certaines religions, et ça ne poisse pas, comme en certains sous-genres. L’amour, c’est du clair et vigoureux, du roide et du viril — et vas-y que j’te !
Le Processus, c’est aimer l’Autre — y’a du boulot !
Bilan de la leçon 3 :
Autorité : Instance d’aide structurante de l’individu afin qu’il s’engage dans le Processus de l’Etre et y conquière son autonomie responsable, la Souveraineté.
Différence : Ce qui constitue l’identité unique d’un Individu, sa marque irréductible d’Autre.
Héros : L’Individu qui ose la Tentative, qui s’engage dans le Processus, et qui en affronte les épreuves.
Individu : Celui qui assume la solitude ontologique essentielle dans la Tentative et le Processus.
Mentor : Celui qui est investi de l’Autorité structurante et qui guide l’individu vers son Processus.
Souveraineté : Etat de liberté et d’Autorité sur soi-même.
Tentative : L’aventure risquée du Processus, dans la direction verticale de l’Autre.
Totalité bienheureuse : Le caractère fondamental de l’Horizontale originelle, qui offre à l’individu tout ce dont il a besoin pour vivre : nourriture, chaleur, sécurité, communauté.
Volonté : Détermination à avancer toujours plus loin dans le Processus, toujours plus profondément dans l’Autre, à progresser dans son Etre, à affirmer sa Différence et à conquérir sa Souveraineté.