CONSERVATISME

C’est ici le lieu de citer le titre aussi oxymorique (apparemment) qu’alléchant ou au moins stimulant, de l’ouvrage d’Amaury Giraud (AG) : « Penser le conservatisme à gauche » (Le Bord de l’Eau, 2024)

Attendez, conservatisme, conservatisme… J’ai bien entendu ? Les oreilles ne me déraillent pas ? Je n’ai pas l’ouïe qui me délire ou la cervelle qui me divague ? Vous avez bien dit « conservatisme » ? Il a bien dit « conservatisme ». Ciel ! Horreur, enfer et damnation ! Conservatisme ! Mais malheureux, mais mon pauvre ami, mais vous rendez-vous compte que « conservatisme » confine à « réactionnaire » et « réactionnaire » à – oui, pardon de vous le dire mais ayons le courage de nommer les choses – « réactionnaire » confine à « fascisme » ? Oui, vous m’avez bien compris, ne faites pas semblant ou comme si ! Fascisme, rien de moins et essayez voire de trouver plus !

Eh bien oui, j’ai dit « conservatisme ». Comme AG, je l’associe à « gauche », et je ne vois pas pourquoi il me serait interdit d’aggraver mon cas en citant également le sous-titre de son ouvrage : « Entre socialisme antimoderne, populisme démocratique et critique du progrès ». Dès lors, en effet, je revendique de m’inscrire en faux, et encore une fois de tout mon Athéisme et de toute ma conviction anti-Religieux, contre l’effacement des racines judéo-chrétiennes et gréco-latines de l’Europe dans son ensemble et de la France en particulier. C’est en quoi l’AO s’inscrit plus profondément encore dans la lignée de Proudhon qui, selon AG, estime qu’ « un révolutionnaire ne peut pas être un iconoclaste enragé » mais qu’il doit être au contraire « un perpétuateur, un continuateur, un passeur de mémoire de la tradition révolutionnaire commencée par les Chrétiens des premiers siècles », ces chrétiens qui selon lui «  étaient des hommes de conservation ». Jean Jaurès (JJ) pour sa part, toujours selon AG, « entend concilier l’esprit révolutionnaire, la tradition et la continuité historique », et en particulier, il ne manquait pas d’affirmer que « le christianisme est l’un des éléments de notre formation. » Il allait plus loin en déclarant que « le prolétariat ne sera pleinement affranchi du préjugé religieux que lorsqu’au lieu d’outrager le christianisme, il lui fera sa place dans l’histoire, comme à une partie du mouvement de l’esprit humain. » Philippe Ariès (PA) quant à lui se prononce résolument pour « un conservatisme élémentaire et salvateur », tandis que Denis Collin (DC) y voit « un des aspects de l’esprit révolutionnaire » ou affirme qu’ « il y a des raisons révolutionnaires pour être conservateur. » AG ajoute que ce « socialisme à la fois républicain et conservateur dont se réclame DC » est associé par ce dernier à une défense de la « culture occidentale » laquelle est « marquée par les apports à la fois romains, helléniques et judéo-chrétiens », et par ailleurs une culture occidentale qui doit être « entendue comme une culture de la liberté et de l’émancipation. » Il apparaît donc possible sinon inévitable de relier christianisme, gauche et patrie.

C’est dans cette perspective qu’il faut entendre le slogan du parti de gauche espagnol Podemos selon qui « Une patrie, c’est une communauté dont on prend soin. » De plus, selon le leader de cette formation, Inigo Errejon, il faut « rallier le peuple à la cause d’un “populisme démocratique” » car selon lui, « sans transcendance, il n’y a pas de société. » C’est ainsi retrouver la Transcendance vraie et apercevoir mieux encore que sans elle, il faut renoncer au Politique ou à toute société entendue comme la République, et même affirmer que la Transcendance fausse, puisqu’étant celle du Système, est anti-société autant qu’il est possible. En effet, s’il est bien vrai que la religion tient ensemble Dominants et Dominés, elle ne le fait que par l’Injonction, laquelle ne fait qu’exacerber la Haine sévissant non seulement entre le haut et le Bas de la Hiérarchie mais à tous les étages puisque brandissant devant le Désir de tous son objet majeur qu’est le sommet du Système. À ce titre, la Transcendance fausse est le ferment de toute guerre civile.

Il s’impose donc que rien n’est plus politique que de prôner le conservatisme. Cependant, s’impose ce qu’AG appelle « la dimension péjorative que recouvre, dans le champ des sciences humaines, le qualificatif de “conservateur”». Il faut donc bien entendre ‘conservatisme’ non pas, comme le dit toujours AG, «  au sens d’un passéisme rigide souhaitant un retour aux hiérarchisations rétrogrades des anciens régimes, mais d’un impératif de la préservation, de la protection et de la sauvegarde des spécificités sensibles et culturelles de mondes populaires inscrits dans un espace temps déterminé dont la globalisation économique bouleverserait les équilibres. » C’est ainsi réévaluer l’héritage soi-disant révolutionnaire de Mai 68, mouvement que le “conservatisme de gauche” considère, selon AG, « comme le triomphe des individualismes libertaires contre les communautés de destin politique et contre toute forme d’enracinement socio-culturel. » Il apparaît dans le cadre de l’AO qu’avec l’objectif l’abolir le Pouvoir, Mai 68 a également rejeté l’Autorité, ouvrant ainsi la porte au pire danger qui menace aussi bien l’individu que la collectivité : le Désir.

Si, d’une façon générale, le Désir, impliquant que tous sont Rivaux pour les mêmes objets, est la guerre de tous contre tous, il se manifeste dans la France et l’Europe d’aujourd’hui, entre autres mais très haut, par cet objet étrange qu’est l’effacement, effacement des racines, effacement du passé, effacement de l’histoire. Dès lors, la question qui se pose est bien sûr : pourquoi ? Pourquoi, au centre et à gauche, ce Désir d’effacement ?

La réponse cliquète partout dans le paysage politico-médiatique, mais surtout à gauche : par souci de non-discrimination.

Dans la France et l’Europe d’aujourd’hui, l’attitude la plus diabolique qui soit est la discrimination. Mais qu’est-ce à dire ?

De toute évidence, c’est ainsi poser le problème de l’immigration. L’Europe accueillant sur son sol toujours plus d’immigrants, la “gouvernance” morale (?) européenne, que répercutent la droite libérale et la gauche humaniste, impose cette idée qu’il convient de nettoyer voire de récurer le cadre politico-idéologique dans lequel arrivent les immigrés, c’est-à-dire d’extirper toutes les références historiques et culturelles qui, de fait, excluent ces arrivants puisqu’eux-mêmes, par définition, en portent et en apportent d’autres dans ce qu’on peut appeler leur bagage ontologique : s’étant formés à partir d’une autre Horizontale, ils ont édifié une Différence particulière que les européistes, de tout leur zèle aussi vertueux qu’humanitaire (et vice versa), s’interdisent d’offusquer, de déconcerter comme de désemparer. Par souci de ne pas blesser ou sous couleur de ne pas exclure les Différences étrangères, les eurolâtres intiment à la Différence européenne comme aux Différences nationales, décrétées passéistes ou réactionnaires, de se neutraliser, de se décolorer, de se désactiver, de se stériliser, de s’annihiler, de se résorber, de s’anéantir, de s’aplatir et de s’écraser – bref de s’effacer autant que faire se peut afin que les Différences étrangères trouvent tout leur espace et respirent large, sans rien qui les limite, qui les réduise, qui les chicane, qui les brime ou les déprime. C’est là ce que dit à sa manière Alain Finkielkraut (AF), à partir du concept de SW : « L’enracinement des uns est tenu pour suspect et leur orgueil généalogique pour “nauséabond”, tandis que les autres sont invités à célébrer leur provenance et à cultiver leur altérité. »

C’est cet effacement impératif des Différences autochtones au profit de l’exaltation impérieuse des Différences allochtones qui se voit apposer l’étiquette prestigieuse si ce n’est triomphale entre toutes de « progressisme ». PROGRESSISME – les mille feux manquent au mot pour rendre justice à la notion !

Dès lors, progressisme ici, progressisme ailleurs, progressisme partout, progressisme de la tête aux pieds et d’est en ouest, progressisme à toutes les sauces et à la mode de chez nous. Il faut être progressiste, progressiste à toutes fins et du soir au matin, progressiste dans tous les sens et à tous les étages, progressiste de toutes teintes et dans toutes les clés de sol – progressiste faute de quoi on est…, on est… on est FASCISTE !!! Fasciste, oui ! Progressiste ou fasciste, pas de milieu, car, comme disait la Dame de fer, « TINA ! », c’est-à-dire pas d’entredeux, pas d’intermédiaire, pas de transition, pas de demi-mesure, pas de compromis, pas de moyen terme, c’est comme ça, et risquer un « oui mais… » c’est déjà avoir basculé dans la perdition ! En fait, très clairement, il s’agit, avec celle d’effacer ses racines, d’une autre Injonction signifiée au citoyen européen ou national et proférée quant à elle par les grands prêtres de la « gauche » porteuse de tous les « anti » que lui dicte sa bonne conscience inaltérable ou sa belle vertu inoxydable : anti-racisme, anti-patriarcat, anti-sexisme, anti-xénophobie, anti-islamophobie, anti-homophobie, anti-laïcisme à l’occasion et tous les etc. qu’on veut mais dont on peut cependant faire l’économie en ayant recours à l’anti des antis, à l’anti qui les ramasse tous, qui les résume et les concentre, en même temps qui les absorbe et les épuise : ANTI-FASCISME ! Avec celui-là, le faîte est atteint en même temps que le fond est touché, tirez toutes les échelles et fermez tous les bans.

Mais de quelle gauche parle-t-on ?

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