WOKISME ET FASCISME

Cet article s’appuie sur deux ouvrages et une vidéo.

Les deux ouvrages :

SOYONS WOKE, plaidoyer pour les bons sentiments, de Pierre Tevanian (Éd. Divergences)

FACE À L’OBSCURANTISME WOKE, sous la direction d’E. Hénin, X.-L. Salvador, P. Vermeren (PUF)

La vidéo <https://www.youtube.com/watch?v=9NE9Jj0Ud5c> émane de Médiapart, et donne la parole au même Pierre Tevanian (PT), avec deux sociologues , Solène Brun et et Laure Bereni.

En guise d’introduction, il faut partir d’un constat : ces deux ouvrages et cette discussion font vivre dans un monde où, de ce qui crève les yeux, il est requis de dire « Ça n’existe pas » et de ce qui est dénué de tout fondement « C’est une vérité scientifique », un monde où, symétriquement, quand, de l’évidence, on dit « Ça va de soi » et de l’absurde « Ça ne tient pas debout », on est immédiatement accusé de tenir des propos haineux et, finalement et immanquablement, taxé de « fasciste », c’est-à-dire de la pire des tares – un monde où on est, par ordre croissant, niais, aveugle, stupide, douteux, coupable et enfin pourri – bref, un monde où il y a de quoi devenir fou.

Pour ne pas devenir fou, une seule issue : analyser.

I. LE PROCÉDÉ : COMMENT ?

Les deux livres.

Il s’impose de partir de cette assertion négative qui assomme d’emblée tout débat sur le sujet : « Le wokisme n’existe pas ». La phrase figure en toutes lettres dans le livre de Pierre Tevanian (p. 18), mais !– mais elle est suivie d’une parenthèse de quatre lignes : « au sens où aucun dogme constitué, aucun clergé unifié, aucun parti organisé ne rassemble tous les groupes ou individus qui s’engagent dans les luttes qualifiées de woke ». L’équivalent de cette parenthèse se trouve également dans le petit texte de présentation qui figure en 1ère de couverture, lequel annonce que l’auteur fait « valoir à juste titre que le “wokisme” n’existe pas en tant que courant homogène, puissant et organisé » – le plus stupéfiant étant ici la petite expression “à juste titre” puisqu’elle valide d’avance ce qui est censé devoir être démontré par l’ouvrage. Or est-ce que « ça n’existe pas » et « ça n’existe pas en tant que courant homogène » sont deux assertions équivalentes ? Est-ce de la mauvaise foi de les dire en réalité parfaitement contraires ? En effet, la première constate un néant alors que la seconde fait état d’un phénomène. Que ce phénomène soit divers voire confus, multiple voire composite, multiforme voire disparate, pluriel voire hétéroclite, c’est sans effort qu’on peut le concéder, mais PT ici, malgré qu’il en ait ou qu’il en aurait s’il devait le reconnaître, l’établit : ce phénomène existe bel et bien. PT invoque par ailleurs, en s’appuyant sur un autre auteur, « le caractère fantasmatique du “péril woke” » et il parle de « sa fausseté sur le plan factuel » (p. 15), mais outre qu’il fait état lui-même des faits partout dans son livre, il faut s’aviser que « le wokisme n’existe pas » et « le péril woke est un fantasme » sont deux assertions qui ne s’équivalent pas. En effet, alors que la première nie l’existence du phénomène, la seconde l’admet implicitement, et cela précisément quand elle se borne à en nier le caractère dangereux ; de deux choses l’une : soit le wokisme n’existe pas et donc la question de son danger ne se pose pas ; soit ce danger est un fantasme si ce n’est une calomnie, et alors le mouvement qui en est exempt existe bel et bien. Il faut ajouter ce détail que PT rédige son livre en écriture inclusive, laquelle est un marqueur essentiel du wokisme et dénote chez PT une obéissance à l’une de ses Injonctions, impliquant ainsi que ce mouvement est bien réel. Ce qu’il faut alors constater, c’est que les anti-antiwokisme prétendent faire disparaître le phénomène et sa toxicité derrière son absence d’unité idéologique et de structuration politique. Chacun appréciera le degré d’honnêteté intellectuelle qui préside à un tel procédé.

La vidéo de Médiapart.

Ce média fait souvent grief à ceux qu’il considère – c’est dire qu’il condamne – comme étant d’extrême-droite, de ne pratiquer aucunement le pluralisme. Or il faut constater qu’à cette discussion sur le wokisme ou plutôt contre l’antiwokisme ne participent que trois personnalités qui sont parfaitement d’accord sur le sujet, sans compter le modérateur qui ne fait jamais que les encourager à aller toujours dans ce même sens et à en rajouter à cette fin toutes les couches et toutes les louches. Il ne s’agit donc pas d’un « débat », ce débat qui est refusé aux « ignobles chaînes Bolloré » accusées soit de n’en organiser jamais soit de n’en organiser que de factices en conviant un individu chargé de jouer le rôle de l’alibi culturel qui n’est là que pour « faire croire » au sacro-saint pluralisme. Cette discussion est en fait un procès en règle de l’ennemi à abattre, l’antiwokisme, et – même procédé que dans le livre de PT – un procès mené non pas même par quatre juges mais par quatre procureurs, et un procès dont la sentence est annoncée d’entrée de jeu par le modérateur puisqu’elle sert d’introduction et qu’elle est bien sûr une condamnation sans appel. Si la justice fonctionnait toujours ainsi, ce serait intenable ; mais sur le seul plan de l’honnêteté intellectuelle toujours on ne voit pas que cette façon de faire soit moins indéfendable.

II. LE CONTENU : QUOI ?

D’abord, il convient de s’arrêter sur deux déclarations de PT : parlant des « pamphlets anti-wokistes », il les dit d’abord, sans le démontrer, « déguisés en “enquêtes” ou en “analyses du phénomène” » et il décide qu’ils « portent des titres plus ridicules les uns que les autres » (p.13) ; il affirme également que « s’il est une chose dont les antiwokistes n’ont vraiment pas peur, […] c’est du ridicule » (p. 15). Il est évident que PT estime ne pas lui-même courir ce risque une seconde : en vertu de quoi ? Il est par ailleurs permis de demander en quoi « Soyons Woke, Plaidoyer pour les bons sentiments » est un titre plus ou moins ridicule que « La religion woke » ou « Le wokisme est-il un totalitarisme ? » Par ailleurs, au sujet du livre d’Éric Nolleau et de Michel Onfray, il évoque leur « pathétique manifeste » : comment peut-il être sûr, grâce à quels critères ou quelle révélation d’en haut, que son propre ouvrage n’est pas totalement navrant ? Par ailleurs et surtout, est-ce que le ridicule et le pathétique sont des catégories philosophiques ? Il est trop évident que la jauge du « ridicule » et du « pathétique » de PT est non pas subjective ni même arbitraire mais purement idéologique : comme toute la pseudo-gauche, il juge que tout ce qui contredit son discours obligé est irrecevable et doit être disqualifié sans discussion. Quant au lecteur, comment peut-il s’y retrouver ? D’un côté il voit un PT estimant que tout ce qui relève de l’antiwokisme appartient aux « campagnes néoconservatrices » (p. 17) quand lui-même bien sûr revendique implicitement de participer aux « efforts de pensées émancipatrices » (p. 18) ; mais le même lecteur voit en face les universitaires du collectif des PUF démontrer que le wokisme est une régression intellectuelle (invalidation de la science) et politique (retour au communautarisme voire au tribalisme) : quel côté à « plus raison » que l’autre ? En fait, il paraît bien difficile de saisir en quoi les vingt-six universitaires qui collaborent au livre des PUF, et tous ceux que cite PT aux p. 13 et 14, seraient plus ou moins crédibles que lui-même et les deux sociologues qui participent au faux débat de Médiapart. En fait, c’est un autre soupçon qui vient ici à poindre : PT, des ouvrages auxquels il s’en prend, ne cite au mieux que la 4e de couverture et au pire que les titres : est-ce que, desdits ouvrages, il n’aurait rien lu d’autre ? On peut même aller plus loin : est-ce que l’accusation de « ridicule », parfaitement oiseuse, ne serait pas là pour masquer la malhonnêteté intellectuelle qui consiste à condamner des livres sans les lire, sans les consulter, sans les ausculter ? Ces mêmes ouvrages sont entassés sur la table autour de laquelle sont réunis les participants de la vidéo de Médiapart ; quand on entend ce qu’en disent – ou plutôt ce qu’en disent pas – les deux sociologues, c’est le même soupçon qui les frappe.

En fait, devant ces gens qui démontent bien plus qu’ils ne démontrent, la certitude s’impose que s’en tenir aux seules accusations et condamnations ne peut mener nulle part, ne fût-ce que pour une seule raison : toute accusation peut être retournée contre l’accusateur (« Tu ne t’es pas regardé ! ») Il apparaît que le message envoyé aux antiwokistes par les anti-antiwokistes est « Vous êtes des minables fachos » alors que le message envoyé aux wokistes par les universitaires des PUF est « Laissez-nous chercher, laissez-nous penser » : c’est « Vous êtes des cons ! » contre « Foutez-nous la paix ! », un jugement moral ou de valeur en face d’un appel au respect. Dès lors, est-ce que ce sont là des déclarations symétriques comme le sont celles de Rivaux ? L’AO entend dans la première déclaration le Désir d’avoir raison et dans la deuxième la Volonté de vérité, ou d’un côté l’expression d’un Pouvoir et de l’autre celle d’une Autorité, c’est-à-dire ici le Religieux et là le Politique. Chacun est libre bien sûr de choisir son camp, mais ce ne peut être alors qu’en toute connaissance et toute conscience.

Ensuite – et c’est là en fait qu’on va se trouver au cœur du problème – PT reproche aux antiwokistes, de ne jamais définir le terme de « wokisme » ; c’est sur ce point que, s’en prenant à Jean-François Braustein (JFB), s’attachant à le faire passer pour un demeuré plein de mauvaise foi et, moquant sa manie de l’emploi du « etcétéra (p.34), il affirme qu’il s’éloigne « un peu plus chaque jour des standards d’ouverture d’esprit, de rigueur conceptuelle, de souci de la démonstration et de probité intellectuelle qui définissent l’exigence philosophique » (p. 31) et il s’étonne que ce soit là ce qui s’observe chez un « philosophe de profession ». Il est permis au passage de s’étonner de cette expression : est-ce que la philosophie est une profession ? Est-ce que c’est un métier ? Est-ce qu’on est payé pour philosopher, salarié pour penser ? Est-ce que « philosophe » peut s’inscrire sur une carte de visite au même titre qu’ « avocat » ou « dermatologue » ? C’est évidemment et de nouveau sur un autre plan qu’il faut envisager la discussion.

En effet, s’il est vrai que JFB ne définit pas le wokisme, il faut constater que PT pour sa part use abondamment des mots « fasciste » « fascisme » et « fascisant » : il parle de « l’extrême-droite xénophobe et fascisante » (p.10) ; à propos d’une de ses cibles, il parle d’une « croisade proprement réactionnaire […] fascisante par les leaders politiques ouvertement ralliés » que sont les Trump et autres chefs de file du RN (p.16,17) ; il parle du « groupe parlementaire des fascistes » (p. 45) qui est bien sûr le RN ; il dit que, pour les anti-wokistes, « gauche et droite – mais aussi extrême-droite (c’est lui qui souligne) – n’ont plus d’importance, la contradiction principale opposant la déraison (wokiste) à la raison (anti-wokiste) » pour conclure que la raison « inclut donc, tout à fait ouvertement, officiellement, calmement, le fascisme » (p. 46) ; il dénonce une tribune du Figaro qui « se réapproprie le concept anti-fasciste de “vote barrage” pour en faire un instrument de ralliement au fascisme » (p.80) ; il assène qu’ « il ne faut tout simplement pas donner de tribune aux fascistes », se posant ce qu’il appelle « la question fondamentale du mode de présence médiatique et du mode d’accueil desdits fascistes » (p.82) ; il ironise sur le discours faisant état de « l’évidence qu’il ne peut pas y avoir 10% de fascistes dans le beau peuple de France dans les années 1990, et encore plus évident qu’il ne peut y avoir aujourd’hui 30 ou 40% de fascistes au sein de ce toujours aussi beau peuple » (p. 85) ; il évoque des « temps révolus » où « des politiciens de gauche quittent des plateaux de télé pour ne pas partager l’espace avec des fascistes » (p.86) Par ailleurs, toujours dans le même ordre d’idée quand bien même le mot est évité, il parle de la « lepénisation de Spinoza par Comte-Sponville » (p. 31) ; quant à Éric Nolleau et Michel Onfray, il les situe « à l’extrême-droite » en en faisant « les tristes compères d’Éric Zemmour » (sans se demander si lui-même ne serait pas un triste sire d’extrême-gauche… ) Or ce n’est certainement pas là un relevé exhaustif ! Fort bien : le fascisme est partout – mais ! Mais où PT définit-il lui-même le fascisme ? Ce fascisme, dont il souligne sans cesse l’omniprésence si ce n’est l’omnipotence, où en donne-t-il une définition précise et rigoureuse ? Lui, un philosophe, que fait-il des “standards d’ouverture d’esprit” quand il préconise, « ouvertement, calmement », l’ostracisation de tout un pan du personnel politique français et pire encore de l’électorat (= « Vous, à l’extrême-droite, vous fermez vos gueules, c’est tout ! ), justifiant du reste cette violence par ce qu’il appelle « considération éthique » (p. 85) ? Que fait-il lui-même, chaque fois qu’il emploie le mot « fasciste » sans l’avoir défini, de la “rigueur conceptuelle” ? Est-ce à un « philosophe de profession » comme lui qu’il faut rappeler que le mot ‘fascisme’ a un sens historique et même technique précis, comme permettent de le saisir ces définitions que tout un chacun peut trouver en trois clics :

Cette doctrine politique rejette le libéralisme, le marxisme, l’individualisme et la démocratie parlementaire. Le fascisme prône l’institutionnalisation de la dictature, le culte du chef « providentiel » et charismatique, le corporatisme, le parti unique et le nationalisme ethnique. […] Par extension, le terme est utilisé pour désigner des formations d’extrême-droite ou pour qualifier péjorativement une attitude élitiste et autoritaire.

Doctrine que Mussolini érigea en Italie en système politique et qui est caractérisée par la toute puissance de l’État (intervention de l’État dans l’économie, étatisation des appareils idéologiques, développement de l’appareil répressif dominé par la police politique, prépondérance de l’exécutif sur le législatif, etc.) et par l’exaltation du nationalisme.

La dictature d’un parti unique, sur un pouvoir autoritaire, nationaliste et anticommuniste. Le régime fasciste entend faire de la nation une communauté unique rassemblée derrière un seul homme (culte de la personnalité et importance de la hiérarchie), avec un individu qui doit s’effacer devant l’État. Rejetant les droits de l’Homme, il s’accompagne d’un État policier fort et sécuritaire, d’une organisation verticale des métiers en corporations, d’une méfiance envers les étrangers et d’une politique réactionnaire.

N’importe qui est intéressé par la politique, et en particulier par celle de la France, ne demande pas mieux que de comprendre, par exemple à partir de son programme, en quoi le RN, est « fasciste » au sens qui se dégage de ces quelques définitions. Mais où PT étudie-t-il cette question ? Où fait-il preuve de cesouci de la démonstration et de probité intellectuelle qui définissent l’exigence philosophiquetelles qu’il déplore ne pas les trouver chez JFB ? Pire ! Au sujet du livre de Nolleau et Onfray il déclare, impavide, que sa « quatrième de couverture vaut son pesant de caca nerveux » (p. 25) Est-il digne ou simplement pertinent, pour un « philosophe », de livrer ses billets d’humeur – surtout quand ceux-ci laissent percer un mépris haineux tellement vilipendé dans les rangs de l’extrême-droite ? Or il y a de quoi demeurer profondément consterné quand on lit le texte incriminé par PT : « [Nolleau et Onfray] ne pensent pas que la gauche ait pour fonction de diluer la Nation dans une Europe libérale travaillant à l’Empire, ni que le wokisme, la cancel culture, l’islamo-gauchisme, la location d’utérus et la vente d’enfants constituent l’horizon indépassable de la gauche contemporaine » : chaque point évoqué ici est discutable, mais justement, est-il interdit d’en discuter ? On lit ensuite : « [Nolleau et Onfray] ne font leur deuil ni du peuple old school, ni de l’École républicaine, ni de l’intérêt général, ni des humanités, ni de la culture classique » : est-ce que chacun de ces points est digne de n’appeler qu’un crachat ? Enfin, faut-il vraiment ne voir dans cet ensemble que « cinquante nuances de droite » (p. 26) ? De droitel’École républicaine, l’intérêt général, les humanités, la culture classique” ? Est-il bien sûr que chacun de ces points soit un marqueur du fascisme ? PT est-il bien s^sur ici de ne pas perdre sa boussole politique ? Il convient de noter également que, dans la vidéo, Laure Bereni va dans le même sens en parlant d’un « pouvoir conservateur, réactionnaire ou même néo-fasciste » et en invoquant des discours anti-woke qui « sont en fait le faux nez d’un mouvement conservateur et réactionnaire ».

Alors, que peut-on tirer de ces considérations ?

III. L’ANALYSE : POURQUOI ?

Il apparaît que le concept de « fascisme » est le centre de gravité de tout, le soleil noir qui doit aveugler tout le monde si ce n’est même le trou noir où doivent s’engloutir lucidité, mesure, nuance, complexité, réflexion – pensée. Et comment se traduit cette abolition de la pensée ? En une formule : « Le wokisme n’existe pas ». Mais quel rapport avec le fascisme ?

PT observe une « évolution marquante quantitative entre 1984 et aujourd’hui » puisque « nous sommes passés d’un FN relativement peu visible médiatiquement ou visible par intermittence, à un RN omniprésen» (p. 85). Évidemment, la question à se poser au sujet de cette progression, la seule intéressante, est « pourquoi ? » Le plus stupéfiant ici est que PT, sans la poser, suggère une réponse, laquelle est pour le moins surprenante : il parle d’une « fascination », celle que suscite « le succès, le culte de la gagne et des gagnants, l’idée en quelque sorte que si les Le Pen ou leurs lieutenants progressent autant, c’est forcément qu’ils ne sont pas si mauvais, ni politiquement, ni moralement […] fascination primaire pour ce qui marche, abstraction faite de toute considération éthique, littéralement par-delà le bien et le mal, [ce qui] implique une certaine vision du monde, disons un darwinisme politique comme il y a un darwinisme social, qui à la fin des fins n’est pas antinomique de celle de l’extrême-droite ». Autrement dit, quant à la progression du RN, PT ne pose nullement la question sur le plan purement politique ou sociologique, mais il y apporte une réponse qui relève en fait de l’anthropologie : le culte du chef, le culte du plus fort, etc. Et c’est là bien sûr ce qui le ramène, comme le montre le dernier syntagme de sa phrase, à ce qui est son évidente obsession : le fascisme. Cette anthropologie, l’AO ne saurait la récuser puisqu’aussi bien c’est la sienne, étant celle du Désir et du Système ; le problème est que PT ne semble pas voir qu’elle peut rendre compte tout aussi bien de ce qui se passe à l’extrême gauche, et que la description qu’il propose du RN peut s’appliquer parfaitement à LFI et à ses cadres quant à l’attitude qu’adoptent ceux-ci devant Jean-Luc Mélanchon (comme le met parfaitement en lumière le livre de Pérou et Bellaïch, La Meute) ? Dès lors, puisque la réponse qu’il propose à la question qu’il a réussi à ne pas poser, à savoir « pourquoi la progression du RN ? », est valable aussi pour l’extrême-gauche, cette réponse n’a aucune validité.

En fait, la question pertinente peut être ainsi formulée : pourquoi l’obsession du fascisme va-t-elle de pair avec le déni de l’existence du wokisme ?

La réponse se profile dans une autre observation, à savoir que ce déni n’est pas le seul : il va de pair avec celui de l’islamo-gauchisme. En effet, c’est par ce double déni qu’il est possible de comprendre pourquoi, dans cette entreprise anti-antiwokisme, le fascisme est toujours invoqué mais jamais défini. Il apparaît clair, dans le cadre de l’AO, qu’éviter la définition permet de dissimuler que le vrai fascisme, que le péril fasciste réel, résident tout entiers d’une part dans ce mouvement relevant du Religieux pur qui prétend défendre les minorités qu’est le wokisme et d’autre part dans cette mouvance inféodé à une religion hégémonique qu’est l’islamisme. Qu’on reprenne les trois définitions du fascisme citées au-dessus, et il s’impose que celui-ci relève du Religieux le plus intransigeant sinon le plus féroce : le culte d’un Dominant parvenu jusqu’au sommet du Scandale, à savoir ce chef charismatique et tout puissant que chacun adore dans l’oubli extatique de soi et auquel, ivre de son Désir jusqu’à l’hubris, il s’identifie jusqu’à la stupeur la plus narcissique. Pour le wokisme, cette idole est la victime ; pour les islamistes, elle est Allah : chaque adhérent au wokisme se désire la victime devant laquelle tout le monde est sommé de s’agenouiller pour lui rendre justice ; chaque islamiste s’identifie au Pouvoir de son dieu pour imposer ses Injonctions à tout le monde. Ensuite, tous les traits du fascisme se retrouvent : le nationalisme (« Nous seulement, et au-dessus de tout = cf. Deutschland über alles ») remplacé dans le cadre du wokisme par le tribalisme et dans celui de l’islamisme par l’oumma, la communauté des musulmans qui a vocation à devenir universelle ; le parti unique est repérable dans la pensée unique qu’imposent les deux mouvements, à savoir la non-pensée ou l’Injonction frappant d’interdit tout esprit critique ; l’état policier se reconnaît dans la police de la pensée pour le wokisme et dans la police des mœurs pour l’islamisme, les deux étant d’ailleurs interchangeables et le tout informant un Pouvoir central hautement répressif ; quant à la méfiance envers les étrangers, c’est-à-dire quant au droit à la Différence, ce droit, dans le wokisme, se dénature en Injonction faisant de la Différence une Distance ou un Pouvoir absolu, tandis que, dans l’islamisme, il s’inverse en interdiction pure et simple puisque tout individu est appelé à devenir un fidèle d’Allah et à se fondre dans le Même musulman planétaire.

Couvrez ce fascisme que je ne saurais voir …

En conclusion, si au sein du cadre axiologiquement neutre de l’AO il est possible de valider dans le wokisme la vigilance qui consiste à repérer pour les combattre toutes les situations de domination, c’est-à-dire toute Verticale écrasante – ce qui s’inscrit dans une démarche de gauche – il est impossible de suivre une entreprise qui dénonce le Pouvoir non pour promouvoir l’Autorité mais pour imposer le sien, non pour renverser la Verticale écrasante mais pour l’inverser à son profit (ce qu’on appelle la tyrannie des minorités) – de même qu’il est impossible de suivre une « gauche » qui, étrangère à toute Autorité et pratiquant arrogamment le Pouvoir, réserve toute son indulgence à la dérive injonctive du Religieux woke et toute sa complaisance à l’égard du terrorisme social et intellectuel de la religion islamiste. Il faut à la fin revenir sur les procès constants intentés par cette gauche à tout ce qui est à sa droite, procès en xénophobie, en homophobie, en transphobie, en genrophobie, en grossophobie et, pour culminer, en islamophobie. Mais n’y aurait-il pas quelque pertinence à intenter à la gauche autant de procès en droitophobie ou en extrêmedroitophobie, en èrènophobie ou en fascismophobie, mais aussi en hétérophobie, en mâlophobie ou androphobie, en blanchophobie, en francophobie ou gallophobie, en christianophobie et en nationophobie, enfin en occidentalophobie, et autant de nimportequoiphobie qu’on voudra ?

À chacun son recours pour ne pas devenir fou.

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